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En Thérapie: une adaptation

Par David Elkaïm et Vincent Poymiro


Notre travail doit énormément à la forme inventée par Hagai Levi, qui est un chef d’œuvre de conceptualisation narrative. Hagai est un des très rares auteurs qui a inventé une forme sérielle originale. Chez lui, l’unité de base du récit, c’est l’épisode, mais c’est aussi la semaine, c’est-à-dire le «cycle» de cinq épisodes suivant cinq patients en séance du lundi au vendredi. Ainsi, dans notre « réinvention », on peut dire qu’il y a 35 épisodes ou plutôt 7x5 épisodes !


Cette façon de raconter l’histoire était pour nous au cœur du projet. Mais le respect de cette forme impliquait aussi l’usage pour laquelle Hagai l’avait inventée : un outil pour « attraper » des morceaux de la réalité psychique, émotionnelle, charnelle vécue dans la société israélienne au moment où il écrivait. Pour respecter l’esprit du travail de Hagai il nous fallait donc réinventer ce que raconte la série originale.



Lorsque, courant 2016, Eric Toledano, Olivier Nakache, Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez nous ont parlé d’une adaptation éventuelle de Betipul, nous sommes tous tombés d’accord que cela ne valait la peine que si nous abordions les événements que la société française vivait à ce moment-là. Donc, entre autres, le trauma collectif que nous avions vécus en novembre de l’année précédente. L’idée s’est finalement présentée à notre esprit, toute armée : le cabinet du psy se trouverait à deux pas du Bataclan, et la série commencerait quelques jours après les attentats.


À la table d’un café près de la République, nous avons affirmé abruptement à nos futures productrices que nous ne voyions pas qui d’autre que nous pouvait écrire cette série. Yaël et Laetitia ont dû nous trouver très présomptueux. Mais le sens de cette affirmation était que nous ne pouvions nous permettre de refuser ce rendez-vous entre la série de Hagai et la blessure encore à vif qu’avaient provoquée en nous les attentats. Nous avions besoin, intimement, d’en parler et l’invention prodigieusement accueillante de Hagai rendait cela soudainement possible. Se raconter l’histoire pour tenter de guérir tous ensemble.


À partir de là, nous avons passé du temps à polir la forme, à penser les personnages pour qu’ils soient totalement subjectifs et singuliers, et en même temps qu’ils puissent être le canal affectif par où nos émotions à tous puissent passer, couler, se libérer. Nous avons eu de longs échanges avec Eric et Olivier, puis avec l’Unité Fiction d’ARTE France. Avec Hagai aussi, qui nous a encouragé à être le plus singuliers possible et à nous éloigner autant que nécessaire de son travail. Mais nous ne voulions surtout pas risquer de bouger ce qui n’avait pas besoin de l’être dans la série originale. Seulement ce qui devait l’être pour que la dimension spécifique de notre histoire passe.


Le personnage le plus emblématique de cette nouvelle réalité était évidemment Adel Chibane, le policier de la BRI entré au Bataclan. Il lui est revenu de porter beaucoup, et plus que son histoire singulière – une portion de l’histoire de son pays d’origine, l’Algérie, et de notre pays, la France, qui n’a pas encore été assez racontée, et reste en souffrance. Esther, la psy contrôleuse, devait aussi trouver son style lié notamment à l’histoire spécifique de la psychanalyse en France. C’est enfin Dayan, le psy, qu’il fallait réinventer, pas seulement pour des raisons de pratique analytique, mais parce que c’est lui qui porte au maximum le conflit dans la série. C’est à travers sa subjectivité que le spectateur vit la crise d’identité provoquée par les attentats. C’est lui qui se demande si le monde n’a pas basculé, du jour au lendemain, dans la guerre de tous contre tous, et qui tente d’échapper à ce cauchemar. Il est la grande caisse de résonance émotionnelle du récit. Il fallait donc un personnage à la mesure de ce défi…


Après une longue période de maturation, tout est allé très vite : la faisabilité du projet, une fois le feu vert donné, passait par un tournage rapide. Nous avons donc réuni une équipe d’écriture extrêmement motivée et engagée, pour se pencher sur certains des patients : Alexandre Manneville (Ariane), Pauline Guéna (Chibane) et Nacim Methar (Camille). Tous trois nous ont aidé à prendre soin de ces protagonistes en crise, et à les accompagner jusqu’au bout de leur parcours. Alexandre a, de plus, assumé la tâche délicate d’assurer l’interface entre la salle d’écriture et le plateau de tournage.


Car, une fois que nous avons eu fini ce voyage dans le récit et les personnages, nous avons passé le relais à d’autres, à qui était impartie la tâche essentielle de poursuivre la course, au plateau, derrière la caméra, en salle de montage… jusqu’aux spectateurs vers qui tous nos efforts sont collectivement tendus.


David Elkaïm & Vincent Poymiro, scénaristes




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